Cessons de ruiner notre agriculture
Rien que dans le canton de Vaud, huit agriculteurs se sont suicidés en 2016. La situation est telle que les églises, catholique et réformée, ont créé un poste d’aumônier, financé par le Département vaudois de l’agriculture, pour tenter de venir en aide aux paysans en détresse. S’occuper de leur détresse spirituelle, c’est bien. Mais répondre à la détresse matérielle de paysans qui ne gagnent plus que 5 à 7 francs de l’heure, voire plus rien du tout, ce serait encore mieux.
Officiellement, les chiffres froids de l’Office fédéral de la statistique disent que le revenu des paysans a augmenté en moyenne de 6.2% en 2016. Mais il avait diminué de 10.9% en 2015. Ce qui représente donc encore une perte de revenu de 4.7% l’année dernière. Même si la situation de l’ensemble des classes moyennes se dégrade, aucune catégorie de la population active n’a eu à subir une telle injustice. Et il ne s’agit là que du revenu moyen. Car, toujours selon les sources officielles, la situation est encore pire dans la branche des céréales et dans le secteur laitier. Le prix du lait a baissé d’environ 30% depuis 15 ans, alors que le prix payé par les consommateurs n’a diminué que d’un peu plus de 17%. Cherchez l’erreur.
Dans ce contexte, un certain Urs Riedener, directeur général de l’entreprise Emmi, numéro un des produits laitiers dans notre pays, n’a rien trouvé de mieux que de défendre l’ouverture sans frein des marchés agricoles. Dans une interview accordée à à la Schweiz am Sonntag, le 8 janvier dernier, il a déclaré que la protection de notre agriculture n’offrait « aucune perspective ». Pour lui sans doute, mais pas pour nos paysans, pas pour notre sécurité alimentaire, et pas pour notre planète.
Emmi, c’est la même entreprise qui voulait produire du « gruyère » aux Etats-Unis, en 2012, pour améliorer ses marges. Parmi les réactions provoquées par cette délocalisation partielle d’un des produits phares de notre agriculture, le Grand Conseil vaudois avait voté, à l’unanimité, une résolution contre cette idée particulièrement stupide : produire du gruyère dans le Wisconsin !
Signe de l’indifférence de nos gouvernants à l’égard de la vie quotidienne de leurs « administrés », cette initiative avait vu le jour malgré la présence d’un ancien conseiller fédéral démocrate-chrétien au conseil d’administration d’Emmi. Joseph Deiss avait en effet rejoint cet aéropage peu après son départ du gouvernement, sans doute pour améliorer ses fins de mois difficiles. Heureusement, le « pauvre » ancien ministre avait été éjecté de la Confrérie du Gruyère avant de devoir quitter son siège au conseil d’administration. Et surtout, Emmi, devenu dans l’opinion l’ennemi du gruyère, avait dû renoncer à son projet.
Le refus net et sans ménagement de ce type de comportement est la seule réponse possible.
Fabrice Dunand